Il y a bien longtemps, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, les forêts épaisses des environs de Paliseul murmuraient sous les pas des bûcherons et des chasseurs. Mais une rumeur nouvelle, venue des lointaines cours d’Autriche, se glissait déjà dans les clairières : celle d’une grande route impériale qui traverserait les Ardennes sauvages.

Sous l’égide de Charles-Alexandre de Lorraine (1712-1780), gouverneur général des Pays-Bas autrichiens, les projets de développement se succédaient. C’est lui qui, selon la tradition, aurait fait tracer ce large chemin royal reliant Bouillon à Saint-Hubert, aujourd’hui connue sous le nom de N899. Les anciens l’appellent encore parfois la "Route de l’Empereur".

Avec cette route vinrent des hommes singuliers : ingénieurs, officiers autrichiens, géomètres et cartographes, porteurs d’instruments étranges, arpentaient les vallons et gravissaient les collines. On dit qu’ils installèrent leurs campements de fortune dans les bois, qu’ils mesuraient les distances à pas comptés et reportaient chaque rocher, chaque ruisseau sur d’immenses parchemins.Mais la légende raconte qu’un soir, pris dans un épais brouillard ardennais, un détachement de ces cartographes se perdit aux abords de Paliseul.

 Cherchant un abri, ils finirent par apercevoir les murs d’un ancien manoir se dressant fièrement sur une hauteur : le château de Saussure.

Là, les portes s’ouvrirent devant eux. Le seigneur du lieu, surpris par cette visite impromptue, les hébergea. Les cartes furent déroulées sur de longues tables, et à la lueur des chandelles, ces étrangers redessinèrent la région, laissant derrière eux des plans d’une précision inégalée.

Cette rencontre aurait profondément marqué les villageois. Flattés par cette effervescence impériale, ils auraient eux-mêmes demandé à Charles de Lorraine que le hameau de Saussure prenne son nom en hommage. Le prince, fin politique et initié aux arts ésotériques, aurait vu là l’occasion d’apposer son empreinte maçonnique sur ces terres, transformant ainsi Saussure en "Carlsbourg" — un nom fort, ordonné, aux accents d’Empire et de symboles cachés.

Depuis, chaque fois qu’un promeneur s’aventure sur la Route de l’Empereur, il n’est pas rare qu’il croie entendre, porté par le vent, le crissement des plumes sur le papier et les ordres lancés en allemand par ces mystérieux cartographes.

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